Lao-Tseu dans le taoïsme religieux



Parallèlement au Lao-Tseu historique que nous avons évoqué, un Lao-Tseu religieux apparaît dans d’autres sources. Ainsi, dans le Liexianzhuan, une compilation de biographies datant de la période han, il est compté au nombre des immortels. Il est aussi, avec le souverain mythique Huangli, un des personnages centraux du courant huanglao. Celui-ci, à l’origine philosophique et politique, prit un tour plus religieux lorsqu’il fut évincé par le confucianisme. A partir du règne de l’empereur Huandi (146-168 av. J.-C.), certains commenceront à lui rendre un culte. C’est ainsi qu’en 153, Wang Fu, préfet de la région de Changsha, fera dresser une stèle dédiée à la mémoire du sage qui est identifié au Dao originel. C’est à dire, le principe qui engendre tout ce qui existe ou, si l’on préfère la force fondamentale qui coule en toutes choses de l’univers. Lao-Tseu est également l’un des quatre grands dieux de la secte des cinq boisseaux qui émerge à la fin du iie siècle et qui exige de ses adeptes la récitation régulière du Tao Te King qu’on lui attribue.

Le courant des Célestes qui en est issu contribua fortement à répandre son image divine et à enrichir sa légende. Ainsi, dans L’Explication ésotérique des trois cieux, qui en est un texte majeur, Lao-Tseu connaît une triple naissance. En tant que divinité, puis en tant que laozi historique, et enfin en tant que Bouddha. En effet, le taoïsme religieux, confronté au llle siècle au développement du bouddhisme, tenta un rapprochement audacieux avec le Bouddha, qui fut régulièrement repris et enrichi jusqu’au xive siècle, date à laquelle les prétentions de voir Lao-Tseu dans le Bouddha furent définitivement rejetées.

L’enfance de Li-Erl, futur Lao-Tseu
La narration commence par la description de la famille dans laquelle naquit celui qui deviendrait le sage Lao-Tseu. C’est au foyer d’un paysan aisé nommé Li-Fu-Taï qu’il vit le jour, sous le nom de Li-Erl. Sa mère, Wu-Li, était, pour sa part, issue d’une famille de guerriers. Le couple venait du pays de Tarim, situé entre le Tibet et la Chine2. La tradition, transmise de père en fils depuis fort longtemps, explique qu’un ancêtre de son père, nommé Li-Pe-Yang aurait été poussé à émigrer, sous l’ordre d’un dieu dont le souvenir du nom d’alors est Jahwa. Dans un premier temps, il se serait alors dirigé vers le sud puis, au-delà des montagnes, vers l’est, dans une province de l’Empire du milieu, où se situe le début de notre récit. Dans cette région, il nous est précisé que les hommes portent des boutons rouges sur leur bonnet noir. Cet aïeul y aurait eu un certain rôle à carac- tère spirituel, afin que « que la lumière puisse y éclairer le pays entier avec un éclat qui aurait fait fuir les démons3 ». Mais, pour revenir à notre récit, un messager de Schang-Ti, le plus élevé des dieux connus alors dans le pays, prévint un jour Li-Fu-Taï qu’il allait devoir accueillir chez lui le futur guide du peuple chinois. Dans cette perspective, durant sa grossesse, sa femme, Wu-Li, veilla à se préserver de toute influence néfaste afin de préparer dans l’harmonie la venue de son enfant. À cet effet, elle se recueillit fréquemment devant l’autel domestique conçu à l’intention de Schang-Ti, qu’elle avait l’habitude d’honorer. Mais peu à peu, elle pressentit qu’il existait un dieu plus élevé, le Très- Haut, qui lui était supérieur. Elle prit également l’habitude de dialoguer avec l’âme, désormais incarnée, de son futur enfant, qui lui dévoila sa mission. Celle-ci consisterait à combattre et exterminer les démons afin de frayer un chemin vers les âmes humaines aux esprits lumineux.

Les parents de Li-Erl étaient très pieux, aussi, dès son plus jeune âge, ils le conduisirent régulièrement devant l’autel domestique où ils l’habituèrent à prier. Là, avec candeur, il adressait ses requêtes directement au Très-Haut. Très tôt, il conversa avec celui qu’il appela Tsin-Hi, fils du ciel, et qu’il décrivit comme son propre guide spirituel. Quoique les prêtres estiment qu’il était trop jeune et avait des visées trop élevées, il demanda très vite à son père de lui apprendre à lire et à écrire parce qu’il ressentait déjà qu’il en aurait besoin au cours de sa vie. Curieusement, un homme assez âgé se présenta spontanément pour servir de précepteur au petit garçon. Il s’agissait d’un maître, nommé Lie-Tseu, un lama qui venait du Tibet. Dans ce pays béni, les hommes vivaient différemment. Toute leur vie était réglée en vue de servir le Très-Haut qu’ils adoraient sans pour autant trouver nécessaire de se faire une image de lui. Dans ce pays, les jeunes gens étaient éduqués en vue de pouvoir servir à tout moment au temple, ce qui était la profession la plus élevée. Tous les ans, quelques-uns d’entre eux étaient choisis pour y être consacrés et poursuivre leur instruction sous la direction de prêtres plus âgés, dont certains pouvaient recevoir des messages de l’au-delà, qui leur permettaient d’élargir leur savoir. Cette capacité leur demeurait possible tant qu’ils restaient purs, ce qui était de moins en moins le cas car, en dépit des protections qui avaient été érigées autour de lui, le Tibet s’était laissé gagner par les idées nouvelles et l’influence d’un esprit étranger corrompu. En signe de la liaison qu’ils avaient gardée avec la lumière, ces privilégiés étaient autorisés à porter le bonnet jaune. C’était le cas de Lie-Tseu, à qui un messager des dieux avait signifié jadis de se préparer pour être un jour un instructeur d’un dispensateur de la Vérité. Ainsi le moment venu avait-il tout abandonné et quitté son monastère dans les montagnes pour se mettre à la recherche de son futur élève afin de lui communiquer le savoir terrestre dont il aurait besoin pour son activité future.

• Les premiers contacts avec la religion en place
C’est ainsi qu’autour de l’âge de six ans, Lie-Tseu conduisit son jeune élève, pour la première fois, au temple. Li-Erl en sortit dépité, car il ne put concilier ce qu’il y vit, les images de démons et des dieux qui y étaient adorés, avec ce qu’il ressentait dans son âme. Comme toujours dans de telles circonstances, son précepteur restait silencieux. Il laissait son élève trouver la réponse lui-même, car il ne fallait pas lui faciliter la découverte de la Vérité. C’est ainsi qu’après cette expérience dans le temple, Li-Erl comprit que les hommes ne doivent faire aucune image des dieux, car ils en sont incapables. De plus, il lui sembla qu’ils gâchaient tout en voulant les représenter à leur manière. Lorsque le garçon, devenu adolescent, maîtrisa le troisième niveau de la langue, son maître jugea le moment venu de lui faire découvrir un temple plus important. Toutefois, et en dépit de l’aura qui entourait Lie-Tseu en tant que lama jaune tibétain, les prêtres de ce temple chinois étaient partagés sur la conduite à tenir envers cet enfant aussi précoce. Finalement, c’est un vieux prêtre, Maru, qui, contre l’avis de tous, se proposa de compléter la formation du jeune homme pendant une année.

L’enfant et son maître tibétain furent donc hébergés chez lui, afin que Li-Erl puisse ainsi compléter sa formation à propos des croyances des hommes. C’est donc dans ce temple qu’il fit l’expérience de l’existence des démons, en lesquels la croyance était alors très vivace. Il comprit que ces démons n’étaient en fait que l’expression de la peur ou du désir des hommes. Découvrant, face à eux, la puissance des pensées lumineuses, il apprit à les vaincre, en les fixant de ses yeux rayonnants. Maru lui fit aussi visiter les différentes pagodes du temple qui représentent, pour les croyances de l’époque, les demeures des différents dieux. À cette occasion, Li-Erl lui posa de nombreuses questions qui mirent en évidence les incohérences des croyances ensei- gnées par les prêtres. Ainsi, pourquoi les prêtres portaient-ils des accoutrements et des masques affreux en bois sculpté pen- dant leur service ? Pourquoi les érudits souhaitaient-ils garder leurs connaissances pour eux seuls ? Ou encore, si les dieux habitent effectivement dans les pagodes, comment pouvaient- ils être aussi disséminés partout dans le pays ? Non seulement l’enfant ne se satisfaisait pas de ses explications, mais il lui exprimait même son horreur que les prêtres puissent profiter de la crédulité des gens simples pour leur faire croire toutes sortes de contrevérités. Démontrant ainsi sa maturité, Li-Erl soulignait au vieux prêtre que ces erreurs ou falsifications étaient préjudiciables aux hommes, puisqu’elles les empêchaient de chercher plus avant. De plus, cela les faisait végéter dans leurs croyances superstitieuses, ce qui les privait de toute possibilité de progression spirituelle. C’est ainsi, par exemple, que, comprenant que les dieux habitent près d’eux dans les différentes pagodes du temple, les hommes admettaient tout naturellement que tous leurs torts ou leurs écarts avec la moralité s’accomplissaient sous leurs yeux, sans qu’ils ne s’y opposent. Cela expliquait, pour le jeune homme, pourquoi l’immoralité et le péché grandissaient constamment, puisqu’ils n’entraînaient aucune sanction en contrepartie. Pour le jeune homme, il convenait donc, désormais, d’expliquer aux hommes que les dieux demeuraient loin au-dessus d’eux. Et qu’ainsi éloignés, ils ne pouvaient être atteints que par une vie sans tache, ce qui conduirait à améliorer leur situation quotidienne, mais aussi leur moralité.

Prenant conscience, peu à peu, qu’il devait devenir un dispen- sateur de la Vérité, Li-Erl comprit que, quoique supérieures, les connaissances de Lie-Tseu ne semblaient pas être la Vérité tout entière. Il se dit qu’il lui faudrait donc trouver celle-ci avant d’entreprendre la mission qu’il commençait à pressentir. Mais pour cela, il lui fallait au préalable connaître et comprendre les croyances de ses contemporains. Dans cette perspective, il alla visiter avec Maru la nécropole souterraine dans laquelle repo- saient, à l’abri des regards indiscrets, les dépouilles des prêtres et les notables. Là, celles-ci, attendaient que les dieux les rappellent à nouveau sur terre, alors que pour le peuple, ils étaient censés avoir été incinérés ! Li-Erl s’offusquait de ce mensonge. N’était-ce pas un péché contre le peuple que de le priver continuellement de la Vérité ? Certes, lui répondit Maru, mais alors les conséquences seraient que les hommes ne croiraient plus les prêtres !

Au cours des années passées ensemble, Lie-Tseu communiqua à son élève tout ce qu’il savait, en particulier à propos du Très- Haut. Li-Erl commença à appréhender la manière d’entreprendre sa mission. Il comprit qu’il lui faudrait commencer par montrer au peuple comment il avait été jusqu’alors trompé. Après quoi il lui faudrait le conduire sur un chemin entièrement nouveau, car tout, absolument tout devait changer. Afin d’approfondir sa formation, le lama va amena son élève à connaître la vie réelle en le confrontant à des situations toujours nouvelles. C’est ainsi qu’il décida de quitter Maru, qui n’avait plus rien à apprendre à son élève, pour se rendre dans la capitale. Là, le jeune homme apprendrait la vie et les coutumes du monde, son âme étant désormais suffisamment trempée pour ne pas se détourner du chemin de la vertu...

 

Christophe Queruau Lamerie     
                                                                              

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