Histoire de la médecine chinoise

L’étude de l’histoire de la médecine chinoise est une étape indispensable de la formation d’un praticien. On peut facilement comprendre qu’un mathématicien, un chimiste ou un médecin occidental s’intéresse à l’histoire de leur science respective mais l’absence d’érudition dans ce domaine ne constitue pas en elle-même une cause d’incapacité. Le cas de la médecine chinoise est radicalement différent : la connaissance historique constitue un des fondements de la compétence pratique du médecin. Ceci découle du fait que la médecine chinoise est principalement définie par ses textes fondateurs, auxquels tous les praticiens et chercheurs se réfèrent encore aujourd’hui, et par un très grand nombre d’ouvrages classiques rédigés au cours de deux millénaires qui confèrent à cette discipline une structure théorique très élaborée de « médecine savante ».

1. Considérations préalables
L’étude de l’histoire de la médecine chinoise est une étape indispensable de la formation d’un praticien. On peut facilement comprendre qu’un mathématicien, un chimiste ou un médecin occidental s’intéresse à l’histoire de leur science respective mais l’absence d’érudition dans ce domaine ne constitue pas en elle-même une cause d’incapacité. Le cas de la médecine chinoise est radicalement différent : la connaissance historique constitue un des fondements de la compétence pratique du médecin. Ceci découle du fait que la médecine chinoise est principalement définie par ses textes fondateurs, auxquels tous les praticiens et chercheurs se réfèrent encore aujourd’hui, et par un très grand nombre d’ouvrages classiques rédigés au cours de deux millénaires qui confèrent à cette discipline une structure théorique très élaborée de « médecine savante ».

Cette qualification n’est pas un jugement de valeur mais une convention de langage destinée à définir un système médical fondé sur un corpus écrit qui, dans le cas de la médecine chinoise, est particulièrement volumineux puisqu’on recense près de 10 000 ouvrages médicaux1, sur une période de plus de 2000 ans. À cette abondance de sources écrites s’ajoute un autre facteur : l’absence de véritables ruptures épistémologiques, de révolution scientifique de la médecine, comme nous en connaissons dans l’histoire de la médecine européenne. La médecine chinoise n’est cependant pas un système monolithique, dénué de toute évolution au cours des siècles, mais les apports et ajustements successifs se sont opérés d’une façon apparemment plus fluide en Chine qu’en Occident. À tel point que, aujourd’hui encore, au sein d’un cours dans une faculté de médecine chinoise, il arrive qu’on fasse conjointement référence à un traité antique et à une publication contemporaine. Comme le corpus savant en usage s’est compilé dans la longue durée, à la différence de la médecine occidentale qui s’est débarrassée de pans entiers de connaissances jugées obsolètes, le médecin chinois doit très bien connaître l’histoire de sa discipline, les auteurs et les textes dont sont issus chaque principe de traitement, chaque formule de pharmacopée, et l’ensemble des filiations, lignées et écoles classiques qui constituent la source et la trame du savoir qu’il applique. C’est seulement à cette condition, qu’il peut adapter, relativiser, comparer les options de traitements issues de cette tradition. Par exemple, savoir qu’une prescription ancienne comportait tel ingrédient uniquement à cause d’un contexte géographique, climatique, religieux, politique ou économique, est indispensable pour en maîtriser l’usage, en comprendre les éventuelles variations élaborées au cours des siècles et en déterminer, en conséquence, l’usage contemporain.

2. Sources
À la différence de l’Europe, la Chine n’a conservé que très peu de manuscrits et la plupart de ceux que nous connaissons aujourd’hui sont issus de fouilles archéologiques remontant aux cent dernières années. Les travaux archéologiques menés en Chine ont permis une avancée considérable dans la connaissance de la médecine antique. L’événement le plus marquant des récentes décennies est sans doute la découverte de Mawangdui 馬王堆, site archéologique signalé par deux tumuli en forme de selle2, situé à Wulibei 五里牌, à quelques kilomètres à l’est de Changsha, dans la province du Hunan. Le début des fouilles date de 1972. Trois tombeaux (~190-168 av. J.-C.) datant des Han Occidentaux sont ouverts. La tombe n° 1 contient la momie, en excellent état de conservation, de la marquise de Dai 軼侯, décédée entre -168 et -145 et reposant, enveloppée de 20 épaisseurs de tissu fixées par neuf ceintures, dans une chambre funéraire en bois placée dans quatre cercueils emboîtés et entourés de compartiments pour le mobilier. La tombe n° 2 est celle de Li Cang, marquis de Dai, gouverneur de la région de Changsha sous le règne de Gao Zu (206-195 av. J.-C.) qui fut l’empereur fondateur de la dynastie des Han. Mais c’est surtout le tombeau n° 3 qui s’avère le plus intéressant pour les sources écrites. Celui-ci, appartenant à l’un des fils de Li Cang, est daté de 168 av. J.-C. Les archéologues chinois y découvrent une bibliothèque composée de plusieurs dizaines de manuscrits sur rouleaux de soie et sur tablettes de bambou3. Il contient, notamment, cinq longs rouleaux de soie contenant, en tout, 10 textes et deux assemblages de tablettes de bambou contenant, en tout, quatre textes. L’ensemble est donc constitué de sept manuscrits médicauxregroupant 14 textes distincts4. Une autre découverte archéologique survient une dizaine d’années plus tard. Entre décembre 1983 et janvier 1984, des archéologues chinois du Musée de Jingzhou (province du Hubei) fouillent des tombes au lieu-dit Zhangjiashan et exhument une importante collection de manuscrits sur tablettes de bambou5, notamment dans le tombeau M 247 dont la datation est de 186 av. J.-C., au plus tôt, de 179 av. J.-C., au plus tard, c’est-à-dire antérieure de dix à vingt ans au tombeau n° 3 de Mawangdui. Les textes de cette époque portent sur différents aspects de la médecine, avec une importance prépondérante pour les pratiques du fangzhongshu 房中术 [art de la chambre à coucher]6 et surtout pour tout ce qui concerne la médecine des vaisseaux. Le concept de mai 脈 [vaisseaux] apparaît comme un des principaux éléments de la pensée médicale de cette époque, tandis qu’aucune référence n’est encore faite à la théorie des zangfu 臟腑 [Organes et Entrailles]. Une autre collection importante de manuscrits, plus tardifs ceux-là, provient de l’expédition de Paul Pelliot (1878-1945), de 1906 à 1908, qui découvrit un nombre considérable de documents chinois contenus dans une grotte à Dunhuang (province du Gansu). Certains sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France. Cependant, en dehors de ces collections issues de l’archéologie, les manuscrits chinois anciens sont rares. Ceci provient du fait que les Chinois, ayant connu divers procédés d’imprimerie et les ayant employés bien avant les Européens, n’ont pas été obligés d’avoir recours, aussi longtemps que ceux-là, au procédé de la copie manuelle. Dès le VIIIe siècle, la xylographie permet de reproduire textes et images pour en permettre la diffusion. La plupart des sources médicales que nous connaissons ont donc été transmises sous forme d’imprimés. En revanche, pour les périodes plus anciennes, un grand nombre d’écrits que nous connaissons par des références ou des citations ont été perdus.

1. Le Zhongguo yiji tongkao 中國醫籍通考 [Étude compréhensive des écrits médicaux de Chine], Shanghai, Shanghai zhongyi xueyuan chuban she, 1992, en quatre volumes, en recense à lui seul plus de 9000.
2. Mawangestunecorruptiondema'an馬鞍[selle].
3. Cf. Mawangdui Hanmu boshu 馬王堆漢墓帛書 [Livres sur soie de la tombe Han de Mawangdui] », t. IV, Beijing, Wenwu chubanshe, 1985 ; Zhou Yimou, Xiao Zuotao, Mawangdui yishu kaozhu 馬王堆醫書考注 [Analyse et commentaires des livres médicaux de Mawangdui], Tianjin, Tianjin kexue jishu chubanshe, 1988.
4. Pour une description plus précise de ces manuscrits, cf. D. Harper, Early Chinese Medical Literature – The Mawangdui Manuscripts, London, New York, Kegan Paul International, 1997.
5. Cf. « Jiangling Zhangjiashan Hanjian Maishu shiwen 江陵張家山漢簡脈書釋文 [Explications sur les livres des vaisseaux sur tablettes de bambou des Han de Jiangling Zhangjiashan] » Jiangling Zhangjiashan Hanjian zhengli xiaozu, Wenwu, 7, 1989, p. 72-75.
6. Il s’agit d’un ensemble assez vaste de pratiques permettant d’utiliser la sexualité à des fins de préservation de la santé et d’entretien de la vie.

 

Eric Marié

 

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Précis de médecine chinoise