Que devrait être une démonstration « imparable » de l'existence de Dieu ?

Saint Anselme nous donne, semble-t-il, un début de réponse : c’est une preuve telle que dès que nous l’avons pensée et véritablement comprise, Dieu est pour nous comme là, devant, debout de pied en cap.


Saint Anselme nous donne, semble-t-il, un début de réponse : c’est une preuve telle que dès que nous l’avons pensée et véritablement comprise, Dieu est pour nous comme là, devant, debout de pied en cap.

Comment la Question de Dieu se pose-t-elle aujourd’hui ? Un petit mémento à l’usage des candidats bacheliers bousculés, trouvé dans les affaires que les enfants laissent en héritage à leurs parents, disait à peu près ceci : Kant ayant démontré l’indémontrabilité de l’existence de Dieu, Nietzsche ayant proclamé la mort de Dieu, les croyants et les incroyants se partageant en parts à peu près égales de par le monde, la seule chose qui reste raisonnablement à faire est de renvoyer tout le monde dos à dos et d’étudier l’évolution de l’idée que les hommes se sont faite de Dieu au cours des âges. (Avec, probablement, un bon point en plus pour les candidats qui penseront à faire le parallèle avec la Généalogie de la morale de Nietzsche.)

Dont acte.
L’irénisme laïc de ce petit texte est des plus sympathiques, quoiqu’une lecture soupçonneuse y décèle à l’occasion un parti pris en faveur de l’athéisme, sous couvert de la thèse d’indécidabilité de Kant. Mais évitons les procès d’intention. Si Kant a raison – et il n’est pas le premier venu –, la première partie de notre Essai devrait se conclure négativement, au grand dam de la seconde partie de notre Ouvrage. Et même de la première, car si Dieu est indémontrable, pourquoi s’intéresser encore aux prétendues démonstrations de son existence, sinon d’un point de vue purement historique ?

Toutefois, on peut retourner l’argument et souligner que de grands esprits comme Descartes ou Leibniz ont prétendu, eux, démontrer l’existence de Dieu, et que, par conséquent, Kant n’est peut-être pas le dernier mot de la philosophie. Il y a aussi le concile Vatican I 1 qui a condamné la thèse de l’indémontrabilité de Dieu, réprouvant implicitement Kant, et l’on conviendra également que les pères conciliaires n’étaient pas, eux non plus, les premiers venus, et qu’ils avaient certainement lu et compris Kant, aussi bien, voire davantage que la moyenne des lecteurs de la Critique de la raison pure.

Bref, avant de conclure négativement s’il y a lieu, il est juste d’examiner les arguments des deux parties. Au reste, et strictement parlant, il est faux d’affirmer indémontrable l’existence de Dieu, puisque, depuis Aristote au moins, il en existe un grand nombre de démonstrations. On protestera peut-être que la conclusion pour être vraiment certaine exige une validation extérieure à la preuve, une validation « scientifique ». Ce dont nous conviendrions volontiers, si on nous apportait la preuve certaine qu’il n’existe absolument aucune autre sorte possible de validation extérieure à la pensée.

Le rapprochement de Kant et de Nietzsche dans ce mémento pour- rait, d’une part, faire croire un instant et à tort, que Kant a démontré que Dieu n’existait pas.

D’autre part, la proclamation de la mort de Dieu ne vaut pas démonstration d’inexistence de Dieu, n’étant qu’une affirmation résolue d’athéisme (et, dans le cas de Nietzsche, d’antichristianisme explicite). Elle se veut être le constat, justifié ou non, que le monde vit « comme si » Dieu n’existait pas, aujourd’hui plus qu’hier et beau- coup moins que demain, cela sur le mode prophétique, – un constat que les théologies dites de la mort de Dieu essaient d’intégrer depuis quelques décennies. (Ces théologies prennent acte du fait que nos contemporains placent aujourd’hui leurs valeurs ici-bas et non dans un au-delà hypothétique, et semblent conclure que l’essentiel est de vivre confortablement dans la société de consommation, Dieu étant affaire personnelle de convenance spirituelle 1.)

L’essentiel est ailleurs. S’il n’ajoute rien à Kant du point de vue de la démontrabilité de Dieu, Nietzsche pose une question centrale pour notre propos : peut-on concevoir de vivre dans l’athéisme, non pour un temps, mais éternellement ? (Mort, vie éternelle...) Car n’est pas surhomme qui veut. Nietzsche en parle comme d’une corde raide au-dessus d’un précipice avec impossibilité de s’en retourner et obli- gation d’avancer; ou encore comme de cimes glacées à gravir dans un air raréfié.
La problématique de la preuve de Dieu est inséparable de la compréhension de ce qu’est la foi et de son contraire, l’athéisme. Nietzsche a le mérite – si l’on peut dire – de présenter l’incroyance dans ce qu’elle est véritablement. En effet, l’athéisme nietzschéen est plus radical que celui plus accommodant d’Épicure. Nietzsche reproche à Dieu, qu’il refuse, de brimer la liberté de l’homme. Si l’on veut, Nietzsche répond par la négative à la Question de Dieu. En somme, pour Nietzsche, la liberté
de l’homme se définit par et repose sur un relativisme absolu.

Épicure, lui, ne refuse pas Dieu par principe mais l’estime trop lointain, trop indifférent à nos petites affaires, pour que nous nous en préoccupions ou le craignions. Ce qui lénifie (et justifie) l’athéisme épicurien est sa position vis-à-vis de la mort. On connaît la formule d’Épicure : « Quand je suis, la mort n’est pas, et quand la mort est, je ne suis pas. » La conclusion tombe d’elle-même : Vivons sagement du mieux qu’on peut, sans angoisse parce que les dieux, s’ils existent, ne sont pas à craindre tant qu’on vit et, après la mort, il n’y a rien. Mais voilà, tant pour Nietzsche que pour Épicure, le peut-on toujours, quand le malheur frappe vraiment à la porte ? C’est le thème central du livre biblique de Job, ce juste précipité dans le deuil, la souffrance sans remède, le sentiment d’une grande injustice et, pour finir, l’angoisse, tout cela sans raison apparente.

Notre petit mémento est coupable de ne pas faire la différence entre ces deux formes d’athéisme et de se tromper lourdement en conséquence, en affirmant que les croyants et incroyants se partagent en parts égales. (Ne confondons pas réponse à un questionnaire statisti- que sans nuance et conviction profonde !) Jean Rostand nous permet de mieux comprendre ce dont il s’agit réellement, quand il écrit : « Moins on croit en Dieu, plus on comprend que d’autres y croient. » Et encore : « Ceux qui croient en un Dieu y pensent-ils aussi passionnément que nous qui n’y croyons pas ? »

Mais si ! il y a également des croyants qui pensent à Dieu avec passion et grande ferveur. En revanche, il y a des gens, et même beaucoup semble-t-il, qui croient ou ne croient pas sans passion, soit qu’ils ne savent pas trop bien s’ils croient ou non, soit qu’ils pensent qu’il n’y a plus rien après la mort et qu’il importe peu en dernière analyse que Dieu existe ou non. La racine de l’athéisme supportable réside bien dans la conviction amère que tout se limite à la vie présente et que Dieu n’intervient pas ou guère dans nos affaires. On dit alors : Il n’y a plus de saints, il n’y a que des médecins !

Dans les Évangiles, Jésus dénonce bien des erreurs, mais quand il reprend les Sadducéens qui ne croyaient pas à la résurrection des morts, il leur martèle qu’ils sont dans une « erreur grande ».

La masse considérable des indécis qui oscillent entre le croire et le ne pas croire montre qu’après Kant et Nietzsche, on est loin cependant d’en avoir fini avec Dieu. Comme on peut douter du confort de l’athéisme et du nihilisme, qui découle de la proclamation de la Mort de Dieu, quand on voit cette masse d’indécis. Woody Allen s’en tire par une pirouette humoristique : « Le doute me ronge. Et si tout n’était qu’illusion ? Si rien n’existait ? Dans ce cas, j’aurais payé ma moquette trop cher ! 1»

La thèse de l’indémontrabilité de Kant ne pouvait cependant rester sans effet sur le contenu de la seconde partie de cet Ouvrage. Peut-on parler de « connaissance » de Dieu ou doit-on, plus modestement et sans passion, se cantonner à son « idée » seulement ? Nous aurons encore l’occasion de parler du « verre à demi plein ou à demi vide » ; or, on peut déjà en parler, car il y a « idée » et « idée ». C’est-à-dire que l’« idée », quelle qu’en soit la nature, n’est jamais tout à fait « connaissance ». Il n’en demeure pas moins que, si pour l’incroyant « Dieu n’est qu’une idée », pour le croyant « Dieu est plus que l’idée qu’il s’en fait ». (Ce point commencera à s’éclaircir dès le chapitre que nous consacrerons à la célèbre preuve de saint Anselme.) Autrement dit, pour le croyant, l’idée de Dieu est représentation d’une connaissance située dans la transcendance, alors que l’idée de l’incroyant représente un état de fait de notre monde ou en résulte.

Tant pour le croyant que pour l’incroyant, il y a bien évolution de l’idée de Dieu. En effet, si Dieu existe dans sa transcendance, il ne peut se révéler à l’homme que dans l’Histoire, révélation progressive, sinon Dieu ne serait pour nous qu’une idée platonicienne. Or, le croyant croit que Dieu se révèle dans l’Histoire et qu’il en est le Maître.

1. Célèbre par sa proclamation de l’infaillibilité papale, ce Concile s’est tenu du 9 décem- bre 1869 au 20 octobre 1870.

1. Les théologies de la mort de Dieu sont nées aux États-Unis, où les églises sont bien petites au pied des gratte-ciel. Aussi pour voir Dieu, il faut regarder vers la terre et non plus au ciel, comme on le faisait jadis, en des temps qu’on croit avoir été plus crédules que le nôtre.

1. Woody Allen, cité in Le nihilisme et son contraire – Magazine Littéraire n° 279, Juillet- Août 1990.

                                                                                         
Oleg Arkhipoff

 

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