Exposition : Maurice Estève chez Applicat-Prazan


Maurice ESTEVE (1904 - 2001) - Déjeuner sur l’herbe, 1929


À l’occasion de sa participation à la FIAC du 22 au 25 octobre 2015 puis dans ses deux espaces parisiens du 3 novembre au 19 décembre 2015 Applicat-Prazan présente Maurice Estève (1904-2001) - Peintures 1929-1994
 
 
« Peut-être parviendrai-je un jour à faire en sorte qu’il ne soit plus possible d’évoquer lesdits paysages dans mes oeuvres… Peut-être ne pourrai-je jamais empêcher les amateurs de découvrir quelques fragments apparents de multiples aspects d’une « nature » qui ne nous est chère que dans la mesure où nous sommes là, nous les hommes. Imaginez que la race des hommes disparaisse : qu’est-ce que sera la Nature ? »
Maurice Estève à Georges Boudaille le 30 octobre 1963 1

Chaque édition de la FIAC permet à la galerie Applicat-Prazan de présenter une monographie d’un grand artiste de la seconde Ecole de Paris. Cette année, Applicat-Prazan exposera à la FIAC du 22 au 25 octobre une sélection de 24 peintures de Maurice Estève, réalisées entre 1929 et 1994. Maurice Estève s’est toujours défendu d’être un peintre abstrait. Son art est celui de la non-figuration, qui appréhende le concret, en dégage le sensible, le transforme en émotion et l’exprime par un subtil travail de la couleur.

A cette occasion, un catalogue sera publié accompagné d’une préface inédite de Germain Viatte, Conservateur Général du Patrimoine, Commissaire de nombreuses expositions, et auteur de référence. Monsieur Viatte a notamment dirigé les musées de Marseille, le Musée National d’Art Moderne et le Centre de création industrielle au Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, le Patrimoine et les collections du Musée du quai Branly, et le Musée des arts d’Afrique et d’Océanie.

Né le 2 mai 1904 à Culan dans le Cher, Maurice Estève décide à 9 ans de se consacrer à la peinture après une visite au Louvre : « Je voyais désormais la nature à travers les tableaux.» Malgré la virulente opposition de ses parents à sa vocation de peintre, Estève fréquente en 1924 l’académie Colarossi de Montparnasse. Il prend part dès 1929 au salon des Surindépendants. En 1937, soutenu par Georges Braque, l’artiste participe à l’exposition Peinture française à Stockholm. L’intérêt des pays scandinaves pour son oeuvre date de cette période.

Inspirées par Cézanne, les premières natures mortes apparaissent dans les années vingt. Dès les années trente, les formes se géométrisent et s’articulent en plans échelonnés dans l’espace perspectif du tableau. Germain Viatte dans son texte écrit : « Les deux toiles de 1929 ici proposées, Feuillage aux trois pichets et Déjeuner sur l’herbe pourraient donner l’illusion que le peintre s’est vite trouvé, tant il semble y intégrer parfaitement le message d’un cubisme transformé par l’irruption de l’objet mécanique. » Il continue : « Tandis que Léger s’avère soudain fasciné par l’étrangeté poétique des formes naturelles, feuilles, fleurs ou silex, et que Ozenfant aborde son onirisme cosmique, Estève adopte un vocabulaire formel rigoureux qui s’apaise dans la subtilité harmonique des courbes et des couleurs, la nature et des êtres sublimés se pliant à une rhétorique puriste qui semble prolonger ce qui animait Juan Gris peu avant sa mort en 1927. »
En 1947, un tournant plastique s’opère vers la non figuration avec la série des métiers. Pierre Francastel décrit «le passage d’une stylisation formaliste vers une poétique des formes et des lumières.»

C’est par sa maîtrise extraordinaire de la couleur qu’Estève marque la peinture. Des couleurs orchestrées comme disait Jean Leymarie mais jamais préméditées. Toute l’organisation des dessins, des collages, des aquarelles ou des peintures est le propre de l’instant de la création. « Je ne me sers jamais d'esquisse, je peins directement sur la toile, sans dessin préalable. La couleur s'organise en même temps que les formes. Tout se cherche dans le format en chantier... Chaque oeuvre est une suite de métamorphoses »... (Estève, Zodiaque, avril 1979).

Une métamorphose, qui comme les peintures, s’opère aussi dans la création des titres des oeuvres. Berlougane, Bringuenailles, Ouachita-Swing Ratuel, Roulti sont autant d’inventions propres à révéler et à accompagner l’oeuvre peint dans l’existence d’une autre réalité, plus intérieure. M. Viatte écrit : « Depuis longtemps, Estève s’était plu à dénicher des noms de lieudits, souvent familiers, dont il appréciait la saveur. Le voici maintenant qui invente ou transforme des vocables validant la réalité inexplorée d’une poésie sonore soudain incarnée. »
L’aspect général d’un tableau de Maurice Estève est celui d’un mystère organique. A ce propos, M. Viatte précise : « Boudara (1967) et Bringuenailles (1972) sont caractéristiques d’une manière nouvelle de fragmenter le champ de l’image comme s’il s’agissait d’aller au-delà d’une abstraction éminemment conceptuelle et sensible pour inventer une fiction paysagère et organique où le morcellement rythmé de la touche et des formes chamarrées se fait langage. »
Germain Viatte écrit également : « Sur l’abord de la toile et son travail de peintre ses explications montrent quelle sera la dynamique de ses nouvelles orientations, dans une toile comme ici Berlougane (1956), par exemple : « Lorsque j’aborde la blancheur de la toile, c’est la brosse en main - ce n’est pas seulement pour y poser de la couleur - la brosse, autant et parfois mieux que le fusain, se promène, essaie ses pas de danse, s’échauffe même et court à l’affût de son rythme, tente de déterminer le centre de gravité de la toile, les champs de repos, écrase une surface sombre, en cerne les contours près de la lumière d’autant plus jaillissante que contrastée […] »

Les années 70 sont ici bien représentées avec notamment une oeuvre majeure : Trigourrec décrite ainsi par M. Viatte : « Dans le choix ici présenté, Trigourrec (1972) ouvre cette période où le peintre parvient à conjurer l’aveuglement initial par la saisie lucide de ce qui, peu à peu, lui est offert dans l’enfantement tâtonnant de son oeuvre : « Pendant longtemps en travaillant, ou même en regardant une toile au moment où je ne travaille pas, je ne vois pas, je sens que je ne vois pas, je me sens vraiment aveugle2 […] Il y a toujours dans une toile, quelque soit son résultat, un élément où la composition peut renaître, repartir ; je découvre cela quelque fois en dehors du travail, devant une toile qui est accrochée au mur, je découvre brusquement. »

Et l’auteur de conclure avec une phrase d’Estève : « En définitive c’est beaucoup plus la lumière qui m’intéresse que la couleur.3 On a compris la singularité de cette abstraction qui se veut instinctive et s’affirme intimement conceptuelle. Une abstraction au rebours de celles de son temps, rétive devant un géométrisme sec ou les spéculations mathématiques, qui ne recherche ni la fulgurance du mouvement, ni la matière pour elle-même. Qui se situe, en fin de compte, sur le plan de l’humain. »

Maurice Estève est décédé en 2001 à Culan. Il laisse une oeuvre magistrale de poésie, composée de 818 huiles sur toile répertoriées dans le catalogue raisonné rédigé par Robert Maillard et Monique Prudhomme-Estève en 1995.
En parallèle à une longue collaboration avec la galerie Louis Carré puis celle de Claude Bernard, Maurice Estève a participé à de nombreuses expositions en Europe dont une rétrospective en 1986-87 au Grand Palais à Paris. En 1986, fut inauguré le Musée Estève à Bourges créé autour de la donation Monique et Maurice Estève.

 

 

Céline Hersant



1 Lettre citée in Georges Boudaille, « Maurice Estève, Grand Prix national des Arts », Les Lettres Françaises, 30 décembre 1970.
2 Jacques Derrida, in cat. exp. Mémoires d’aveugle, l’autoportrait et autres ruines, Musée du Louvre, 1990-1991, p. 69, écrit : « Dès lors qu’il considère, fasciné, arrêté sur l’image, mais disparaissant à ses propres yeux dans l’abîme, le mouvement par lequel un dessinateur tente désespérément de se ressaisir est déjà, dans son présent même un acte de mémoire. Baudelaire le suggérait dans L’art mnémonique, la mise en oeuvre de la mémoire n’est pas au service du dessin […] elle est l’opération même du dessin, et justement sa mise en oeuvre. »
3 Entretien avec Charles Juliet, 1979.


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