Cour des Comptes - Rapport sur l'imagerie médicale

Depuis son invention à la fin du XIXème siècle, l’imagerie médicale a participé activement au progrès médical. Les techniques d’imagerie médicale se sont diversifiées au cours de la seconde moitié du XXème siècle. Elles recouvrent aujourd’hui la radiographie et la scanographie, l’échographie, l’IRM, la scintigraphie, cette dernière modalité relevant de la médecine nucléaire.


L’imagerie médicale est toutefois aujourd’hui confrontée à de forts enjeux médico- économiques, que les politiques de régulation actuelles ne permettent pas de traiter de façon satisfaisante.
Pour mieux adapter les moyens aux besoins, la Cour propose d’agir de façon concomitante sur trois leviers : améliorer la pertinence des actes et favoriser l’innovation en réallouant une partie des ressources, réorganiser l’offre d’imagerie médicale autour de mutualisations renforcées entre établissements de santé ainsi qu’entre secteur hospitalier et secteur libéral, revaloriser l’imagerie hospitalière en introduisant plus de souplesse dans l’exercice des fonctions et dans les pratiques.

Des enjeux médico-économiques majeurs
Une discipline structurante et innovante
L’imagerie médicale se situe au cœur du diagnostic et du suivi thérapeutique. C’est une discipline structurante dans la mesure où la plupart des spécialités y ont recours, et où sa bonne organisation conditionne pour partie la qualité de prise en charge des patients, en ville comme en établissements de santé.
C’est une spécialité très innovante, appelée à jouer un rôle important dans le développement de la médecine préventive et personnalisée, et qui investit également le domaine du soin, comme en témoignent les perspectives offertes par la radiologie interventionnelle, aujourd’hui insuffisamment prises en compte.
Des plateaux techniques répondant dans des délais satisfaisants à la demande et la diffusion rapide des pratiques innovantes constituent donc des enjeux vitaux pour la discipline.

Un effort récent de rattrapage en matière d’équipement lourds
Le taux d’équipement en scanner et en IRM étant en France inférieur à la moyenne des pays membres de l’OCDE, un effort de rattrapage a été accompli ces dernières années, même s’il reste en-deçà des objectifs fixés. Cette extension du parc a plus largement profité au secteur privé lucratif et aux structures de coopération de droit privé qu’aux établissements publics de santé et aux établissements de santé à but non lucratif. Au 15 septembre 2015, la France comptait, selon les données communiquées à la Cour, 812 IRM, 1 096 scanners, 121 TEP et 449 gamma-caméras.

La qualité de l’offre ne se résume toutefois pas au nombre d’équipements installés. Ainsi, il n’existe pas de corrélation automatique entre délai d’attente et taux d’équipement. L’intensité d’usage des équipements est forte au regard des moyennes affichées par les statistiques internationales, mais reste inégale. L’organisation de l’offre d’imagerie médicale et sa rationalisation au regard des besoins doivent encore faire l’objet de progrès significatifs.

Des ressources humaines connaissant de forts déséquilibres
Les trois quarts des 8 500 médecins radiologues sont en exercice libéral ou mixte, et un quart seulement sont des salariés hospitaliers. La proportion est de 60/40 pour les 700médecins nucléaires. Leur répartition géographique est très inégale, les médecins radiologues libéraux étant proportionnellement plus nombreux dans les régions méridionales et à Paris, et les praticiens hospitaliers relativement concentrés en CHU/CHR (37,5 % des praticiens hospitaliers temps plein et la moitié des praticiens hospitaliers temps partiel).
Le secteur hospitalier public souffre d’un très grand nombre de vacances de postes de praticiens dans la spécialité (près de 40 % de postes de PH temps plein vacants), et du taux de démission de loin le plus élevé de l’ensemble des spécialités médicales (39 % des causes de sortie définitive du corps en 2014 contre 14 %, toutes spécialités confondues). Cet état de fait, que les acteurs expliquent notamment par un différentiel de rémunération important par rapport à l’exercice libéral et par les contraintes pesant sur l’exercice hospitalier (telles que la permanence des soins, mais également la lourdeur de son fonctionnement), désorganise sur de nombreux territoires les plateaux techniques d’imagerie médicale hospitalière. Le problème ne se situe pas tant dans la démographie globale de la spécialité que dans le choix trop fréquent d’une installation ou d’un passage en secteur libéral par rapport aux besoins des hôpitaux et de la recherche.
La répartition des 33 500 manipulateurs en électroradiologie médicale est inverse, puisqu’un peu plus des trois quarts d’entre eux sont des salariés hospitaliers. Même si les contraintes de service public – notamment une présence permanente dans les établissements de santé comprenant des services d’urgence – nécessitent des ressources humaines en conséquence, la croissance des effectifs de manipulateurs salariés hospitaliers (+ 60 % en 15 ans) apparaît très forte, et en contraste avec le déficit de praticiens hospitaliers.
a) Des dépenses dont la composition évolue
Les dépenses à la charge de l’assurance maladie générées par l’imagerie médicale peuvent être estimées à près de 6 Md€ par an :
- 3,9 Md€ en médecine de ville. Les dépenses ont augmenté à un rythme annuel moyen de 1,5 % depuis 2007, inférieur à celui de l’ONDAM, mais ce rythme est très différent selon les modalités. Si les dépenses de radiographie conventionnelle connaissent une baisse progressive (- 3,6 % en moyenne annuelle depuis 2007), tout en restant importantes (923 M€ en 2014), les dépenses d’échographie, qui constituent le premier poste de dépenses (1 303 M€), sont en progression constante (+ 2,5 % en moyenne depuis 2007), tout comme la scanographie (591 M€). Ce sont les dépenses liées à l’IRM (+ 8 % en moyenne annuelle, 688 M€ en 2014) et à la scintigraphie (+ 5,1 %, 281 M€ en 2014) qui croissent le plus vite ; - 2 Md€ à l’hôpital, dont 1,2 Md€ en soins externes et 0,8 Md€ en hospitalisation. Ce dernier chiffre est une estimation dans la mesure où la connaissance des coûts à l’hôpital se heurte à une difficulté inhérente au mode de financement des établissements dans lesquels le coût de l’imagerie pour les patients hospitalisés est intégré dans le tarif des soins.
Une régulation défaillante

Des inégalités géographiques en matière d’équipements
De fortes inégalités existent aujourd’hui dans la répartition de l’offre. Le régime d’autorisation administrative n’a manifestement pas permis de les réduire. Ainsi, sur le plan quantitatif, le taux d’équipement en imagerie lourde varie nettement d’un département à l’autre, sans lien explicite avec des besoins de santé, au demeurant mal cernés. Par ailleurs, le défaut de connaissance précise du parc de machines installées, notamment de leurs caractéristiques, et des utilisations effectives de chacune, constitue un obstacle important à la régulation de l’offre. Une fois les autorisations accordées, les ARS n’effectuent aucun suivi de leur utilisation. Les équipements de radiographie conventionnelle et d’échographie, non soumis à autorisation, ne font pour leur part l’objet d’aucun recensement.
Une gestion du risque insuffisante

La pertinence des actes d’imagerie reste une question peu traitée, alors qu’elle est centrale pour éviter les actes inutiles ou redondants dans les parcours de soins. La HAS dont c’est pourtant le rôle s’est peu investie dans la définition de référentiels de bonnes pratiques et dans la réalisation d’études médico-économiques. Le « guide du bon usage des examens d’imagerie médicale », fruit d’une initiative positive des sociétés savantes, ne saurait avoir la même portée, même si sa diffusion et sa prise en considération restent insuffisantes.
Les actions de gestion du risque, diligentées par l’assurance maladie et par les ARS, sont récentes et de portée très limitée : elles n’ont concerné à ce jour que trois actes de radiologie conventionnelle et la mise en place d’IRM dédiés à l’ostéo-articulaire, sans que, dans ce dernier cas, la justification d’une utilisation intensive de l’IRM pour l’exploration des lésions des membres par rapport à de nombreux pays étrangers soit examinée.
Par ailleurs, l’archivage numérique des examens, aujourd’hui entamé dans les hôpitaux publics, ne débouche pas encore sur le partage des données en raison de problèmes d’interopérabilité entre établissements. Or le partage des informations, entre établissements de santé mais aussi avec le secteur libéral, apparaît crucial tant pour éviter la redondance des actes (certaines études estiment à 40 % le nombre d’examens évitables) que pour améliorer la qualité des diagnostics et des soins et maîtriser les risques d’exposition aux rayons X.

Des efforts d’économies qui manquent de vision structurante
L’imagerie médicale a fait, depuis 2007, l’objet de plans d’économies successifs et de protocoles d’accord avec la profession qui ont permis de maintenir une progression des dépenses à un niveau inférieur au taux de croissance de l’ONDAM. Ces économies ont toutefois insuffisamment joué sur la structuration de la dépense. Or, pour pouvoir financer les innovations et permettre l’accès des patients qui en ont besoin aux examens les plus coûteux, dont les indications croissent (IRM, médecine nucléaire), sans dérapage des dépenses totales, des économies supplémentaires et des réallocations de dépenses sont nécessaires.
En matière de tarification, la base de détermination des forfaits techniques – dont la progression de la dépense totale a été très significative (+ 40 % de dépenses en plus depuis 2010) – n’a pas été revue, la CNAMTS ne s’étant pas donné les moyens depuis dix ans de mesurer l’évolution des coûts objectifs des cabinets libéraux. Faute de cette actualisation, des rentes ont pu se constituer, alors même que le calcul des forfaits techniques reste fondé sur des données très discutables, comme par exemple la présence systématique de deux manipulateurs par examen. De même, alors que les tarifs des actes (honoraires) ont été inscrits à la nomenclature, lors de la création de la classification commune des actes médicaux (CCAM) en 2005, à un niveau élevé pour certaines modalités comme l’IRM dont l’utilisation est en forte croissance, les baisses appliquées sont loin d’avoir permis d’atteindre les tarifs- cibles qui avaient alors été arrêtés.

Agir sur trois leviers
Favoriser l’innovation en dégageant des marges sur l’efficience des actes
Une politique structurante doit être définie afin de dégager les économies qui faciliteront les réallocations de ressources qu’appellent les évolutions des techniques (développement de l’IRM et de ses indications, médecine nucléaire) et la prise en compte des actes innovants, notamment en radiologie interventionnelle. Ceci nécessite de mobiliser les marges de manœuvre existantes sur la pertinence des actes, de revoir leurs modalités de tarification et d’élaborer une politique vigoureuse de gestion du risque.
Les actions relatives à la pertinence des examens, celles permettant d’éviter les actes inutiles ou répétés de façon injustifiée, méritent à cet égard d’être fortement développées, en s’appuyant notamment sur des référentiels de bonnes pratiques qui ont jusqu’à présent peu retenu l’attention de la Haute Autorité de santé (HAS).
La tarification doit être adaptée à l’évolution des techniques et des pratiques. La baisse des forfaits techniques, qui doit à la fois prendre en compte et stimuler les gains de productivité, devrait être fondée sur un recueil périodique et actualisé des données représentatives des coûts. Cette politique d’adaptation des forfaits techniques gagnerait à être accompagnée d’une réflexion sur la tarification des actes intellectuels, c’est-à-dire des honoraires, qui bénéficient également de l’innovation.
La révision des libellés d’actes pourrait permettre de mieux différencier les tarifs en fonction de la nature et de la complexité de l’examen. Les conditions d’utilisation et de tarification de l’échographie méritent particulièrement d’être encadrées et revues à la lumière de son mode de diffusion (les médecins radiologues ne réalisent que la moitié des actes d’échographies facturés à l’assurance maladie) et de l’évolution de sa place dans le parcours de soins.

Réorganiser l’offre autour de mutualisations renforcées
En matière d’équipements, les futurs schémas régionaux de santé devront définir les lignes directrices de l’offre d’imagerie médicale, à la fois en ville et à l’hôpital, dans des conditions qui soient à la fois plus homogènes et effectivement suivies, notamment dans leur utilisation. À cet égard, le suivi généralisé d’un indicateur de performance sur les délais d’attente doit être considéré comme prioritaire.
L’optimisation de l’utilisation des plateaux techniques d’imagerie médicale passe par la rationalisation de l’offre territoriale, en généralisant la mutualisation des équipements et les partenariats. La mise en place prochaine des groupements hospitaliers de territoire prévus par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé doit être utilisée pour engager une restructuration de l’offre d’imagerie médicale.
La transformation, prévue par la même loi, des actuelles autorisations administratives par équipement en autorisations d’activités par territoire de santé périodiquement renouvelées, doit être utilisée pour remédier à plusieurs des problèmes constatés. Les autorisations devraient être désormais assorties de conditions précises permettant, ainsi, de mieux connaître leurs modalités d’utilisation (nature et coût des activités qui, à l’hôpital comme en secteur libéral, sont financées intégralement par l’assurance maladie) et, également, de partager les charges et les contraintes, comme la participation en tant que de besoin du secteur libéral à la permanence des soins.

Revaloriser l’exercice de l’imagerie hospitalière
Des mesures fortes touchant à l’organisation des ressources humaines ainsi qu’à leur gestion sont par ailleurs nécessaires pour améliorer la situation de l’imagerie médicale dans les établissements de santé publics et privés et développer l’attractivité de l’imagerie hospitalière.
À cet égard, la réorganisation territoriale de l’imagerie médicale devrait structurer la gestion des ressources humaines de la spécialité, en prenant appui sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT) et sur le développement de la télé-radiologie. La gradation de l’offre en réseau doit être organisée autour d’équipes de taille suffisante permettant de développer et de mutualiser les surspécialités (imagerie cardio-vasculaire, neuro-radiologie, imagerie abdominale et digestive, etc.), facteur d’attractivité pour les jeunes radiologues.
D’autres mesures sont susceptibles de contribuer à résoudre les difficultés aiguës que rencontrent certains établissements, comme le développement des postes d’assistants partagés, la création d’un pool de praticiens remplaçants volontaires permettant de réduire le recours à l’intérim privé (générateur de pratiques coûteuses et discutables), ou encore le développement dans des conditions encadrées de l’exercice mixte libéral et hospitalier.
La mise en œuvre des dispositions de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, la renégociation de la convention médicale et la signature d’un nouveau protocole d’accord pluriannuel sur l’imagerie médicale en 2016 constituent autant d’opportunités à saisir pour engager les actions correctrices nécessaires.

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