Saint Exupéry, l’aviateur



D’où suis-je ? Je suis de mon enfance. Je suis de mon enfance comme d’un pays.
Antoine de Saint Exupéry, Pilote de guerre, 1942

Monument commémoratif à Tarfaya, escale de l’Aéropostale

Monument commémoratif à Tarfaya, escale de l’Aéropostale

 

De l’origine à l’éclosion
Saint Exupéry... car il faut écrire son nom sans trait d’union au risque de froisser l’auteur qui, jamais, ne revendiqua un nom composé. Donc, Antoine de Saint Exupéry naquit le 29 juin 1900 dans le IIe arrondissement de Lyon1.

Il mourut en mer, au large des côtes marseillaises le 31 juillet 1944. Étrange destin que celui de cet homme qui mit sa vie en scène dans un désert de sable et sa mort dans un désert de mer. Antoine fut un homme habité par la solitude. On peut dire sans se tromper qu’il avait quitté, dès son plus jeune âge, la terre pour voler très au-dessus de nos contingences matérielles. Et toutes les rencontres vécues avec des personnes de son espèce ne furent que des passages obligés entre deux silences.

Anecdote
À Saint-Maurice de Rémens dans l’Ain, là où Saint Exupéry passa une grande partie de son enfance, les anciens aiment à raconter quelques anecdotes. Antoine, encore jeune enfant, « montait des ailes à son vélo pour pouvoir s’envoler et faire comme un avion ».

Un autre vieux reprend : « Il avait piqué les draps à sa mère et puis, il voulait s’envoler. »
Le premier renchérit : « Il était allé dans un chemin qui mène vers la rivière et il allait vite, vite, vite ! Il s’est cassé la figure, hésitation... le coude... non, le bras ! »
Et puis : « Il avait déjà dans sa tête de partir dans le ciel. »

Jusqu’à son entrée dans l’armée en 1921, Saint Exupéry vécut dans « des à peu près » que lui seul parvenait à comprendre. Son incorporation dans l’aviation allait le structurer plus sûrement que dix ans de vie civile.

Saint Exupéry rêvait. Cet homme vivait ici et ailleurs en même temps, ne répondant aux questions que lorsqu’il croyait qu’elles lui étaient destinées. Ce qui ne semblait pas être souvent le cas. C’était d’ailleurs sa plus grande qualité mais aussi la plus grande frayeur de sa hiérarchie : la distraction. Antoine de Saint Exupéry survola la vie comme ses aéroplanes franchirent les mers et les montagnes. Il maintint la distance nécessaire pour appréhender tous les instants graves de l’existence avec l’insouciance que porte un adolescent confronté aux choses trop sérieuses réservées usuellement aux grandes personnes. Il n’aimait pas les adultes par trop installés car ceux-ci cultivaient le défaut majeur de juger de tout. Lui, il se nourrissait que d’essentiel. « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux » avait dit le renard au petit prince dans un langage sibyllin propre aux initiés.

Saint Exupéry devait voir le monde de trop haut pour pouvoir l’apprivoiser. Néanmoins, sa hauteur de vue lui permit de comprendre l’Être dans son intégralité et les vérités dans leur ensemble. Entre l’aviateur et l’écrivain se tissa un fil invisible qui fit que l’un ne pouvait vivre sans l’autre. Ils devenaient complémentaires.

Le plus paradoxal dans la vie d’Antoine, ce sont ses amours. On ne peut pas comprendre l’exercice mental d’un être si on ne le met pas au diapason de sa vie amoureuse. Saint Exupéry fut un homme torturé par des désirs à jamais assouvis. À chaque fois qu’il crut tenir une aventure, on lui imposait d’autres choix qui n’embrassaient jamais les siens. Comment pouvait-il trouver l’équilibre ?

En 1922, Antoine de Saint Exupéry obtint ses premiers galons. Il devint caporal en janvier et sous-lieutenant en avril. En octobre, après un petit séjour à Casablanca, il s’installa au Bourget. Il fut victime d’une fracture du crâne suite à un accident d’avion. On pensait que cette catastrophe allait le clouer au sol. Il n’en fut rien.

En fait, tout se passa lorsque le téméraire jeune homme demanda Louise de Vilmorin en fiançailles. Pour une famille aristocratique comme celle-là, il n’était pas question que leur fille puisse « convoler » avec un pilote, fut-il célèbre. Aviateur n’était pas un métier. La mère de Louise fit promettre à Antoine de renoncer à cette lubie et de trouver une occupation plus acceptable. Par amour, il accepta. Les deux amoureux pouvaient toujours rêver mais à moins de deux mètres du sol. Très vite, les rêveries d’Antoine furent jugées trop sublimes pour la jeune Loulou. Quand elle parlait de meubles, il répondait hélices. Pour peu qu’elle évoque un projet pour acheter des abat-jour, il songeait aux cockpits.

Après une rupture inévitable avec Louise de Vilmorin, Antoine s’installa dans l’Allier puis la Creuse. Pour le compte de l’usine Saurer, il vendit des camions. Plus exactement il vendit un seul et unique camion en un an et demi ! Le plancher des vaches ne lui valait décidément rien de bon.

Ce fut en 1926 que s’effectuera son orientation définitive. La passion venait de gagner sur la raison. Au sein de l’entreprise Latécoère, on lui proposa d’effectuer le transport du courrier sur la ligne Toulouse-Dakar.

Ce fut à Toulouse qu’il fera la connaissance d’Henri Guillaumet et Jean Mermoz. Cette même année, il publiera son premier ouvrage L’Aviateur aux éditions Le Navire d’argent.

Nouvelle orientation professionnelle en 1927. Saint Exupéry devint chef d’escale à Cap Juby au Maroc. Il prit ses fonctions dans cet ermitage et resta dans cette zone espagnole insoumise du désert saharien jusqu’en mars 19291. Concernant cette escale, il est intéressant de faire une étude approfondie de cette parenthèse dans la vie de l’auteur du Petit Prince. Dans une lettre à Pierre d’Agay, il écrivit : « Ma mission consiste à entrer en relation avec les tribus maures et à essayer si possible de faire un voyage en dissidence. Je fais un métier d’aviateur, d’ambassadeur et d’explo- rateur. » Saint Exupéry apprit l’arabe pour avoir un contact étroit avec la population maure. Il n’hésita pas à rendre visite aux caïds sous leur tente. Cette proximité physique et la grande confiance des Maures envers cet homme empreint d’humanisme le fit surnommer « le Seigneur des sables ». Les livres à venir comme Le Petit Prince et Citadelle furent les fruits de cette plongée dans les entrailles de ces hommes extrêmes conçus pour le désert. On peut parler d’une véritable initiation à toutes les strates de la condition humaine, démarche d’un Saint Exupéry non seulement aviateur ou écrivain mais aussi ethnologue. Il dut creuser au plus profond de lui-même pour parvenir à la compréhension de cette société d’hommes instruits par des coutumes ancestrales. On peut comparer cette démarche à celle de l’initiation maçonnique où le plongeon dans le cabinet de réflexion soumet le postulant à une purification par la terre. Le profane meurt à lui-même pour renaître dans une autre dimension. L’isolement silencieux s’impose. La différence avec l’enseignement maçonnique au premier degré demeure dans la méthode liée à cette méditation mais nullement dans la teneur. Saint Exupéry se frotta au désert le plus dénudé. Il se noya dans le silence le plus assourdissant. Il se réfugia dans les mots qui lui servirent de breuvage. Pour Antoine, ce séjour d’un an et demi à Cap Judy fut une expérience opérative qui lui ouvrit définitive- ment une voie royale vers le domaine des lettres.

On a dit Antoine humaniste, mais l’était-il vraiment ? Si l’humanisme consiste à appliquer les pensées des hommes justes, il se range dans cette catégorie. Il enseignait la sagesse et imposait le respect. Il était en quelque sorte un maître à penser. Par contre, ’il lui fallait une tribune pour exprimer ses talents, il la trouva dans les livres plus que dans l’art oratoire.

Après la solitude et la pénombre, les lumières de la ville. De retour du Sahara, il rencontra dans les salons de Louise de Vilmorin, Nelly de Vogüé, jeune femme chef d’entreprise dans l’est de la France. Un peu par hasard, il lui confia son manuscrit Courrier sud avant que Gallimard ne le publie. La jeune Nelly tomba sous le charme de l’œuvre, de l’homme et de sa renommée. Elle céda à ses avances. De cette liaison, il faut relever le caractère double d’Antoine vis-à-vis des femmes. Ombre et lumière. Solitude et fantaisie. Faste et dépouillement extrême.

À travers la lecture des œuvres de Saint Exupéry, on peut mesurer le chemin initiatique qu’il dut parcourir pour arriver à la notion d’essentiel. Saint Exupéry chercha à peindre sa vie comme le prolongement de sa conscience morale au sens le plus strict du terme. Qu’importe l’existence ! Le but ultime restait l’accom- plissement du devoir jusqu’au sacrifice. La voie sacrée était dans l’achèvement de la mission.

En 1931, il ne nous est pas possible de passer sous silence le mariage d’Antoine avec Consuelo Suncin- Sandoval de Gomez1, écrivaine et artiste salvadorienne. Cette femme au tempérament bien trempé, eut une influence certaine sur l’auteur. En quelque sorte, elle devint le Temple intérieur de ce mari volage mais fidèle à ses principes. Que Saint Exupéry la trompa, nul n’était dupe surtout elle. Qu’il l’abandonna pour des libertinages indignes du niveau de rigueur qui devait être le sien. Soit ! Mais elle pardonnait. Finalement, il recherchait le creux d’une épaule.

Sur le plan professionnel, la compagnie Aéropostale1 qui comptait dans ses rangs des personnalités comme Mermoz, Guillaumet ou Saint Exupéry, allait connaître de graves difficultés financières en raison de la crise de 1929. Intégrée dans une structure baptisée Air France, la place des pilotes ayant fait la renommée de l’aviation française, était révolue. Antoine connut des fins de mois difficiles à partir de 1932. Il devint pigiste et réalisa de grands reportages, voyagea en Indochine (1934) et en Russie (1935) pour le compte de Paris-Soir.

Toujours assoiffé d’exploits, il releva le défi d’un raid entre Paris et Saïgon. Pris dans un épais brouillard de sable, son avion, un Caudron Simoun, heurta une colline dans le désert de Libye. Avec son compagnon de vol, ils furent sauvés de la mort par une caravane de nomades qui passait par hasard. Curieuse simili- tude que cet accident comparé à la panne dans le désert vécu par l’aviateur dans Le Petit Prince. De ses expériences, aventures de toutes sortes, Antoine de Saint Exupéry allait recueillir une somme de réflexions sur la condition humaine. En 1939, Terre des hommes en fut la quintessence. N’avait-il pas raison en écrivant au tout début de la guerre : « J’ai autrefois vécu des aventures... mais la guerre n’est point une aventure véritable... La guerre est une maladie. Comme le typhus. »...

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1. Certains affirment qu’Antoine serait né le 23 juin 1900 (Introduction d’Etudes et commentaires par Rouda Borgi).
1. Situé dans le sud du Maroc saharien (anciennement occupé par la France), le Cap Juby fut longtemps une zone territoriale espagnole. Cette terre obtint son rattachement à l’Espagne à la fin de la guerre d’Ifni en 1958.
1. Consuelo de Saint Exupéry, née Suncin-Sandoval, est née le 16 avril 1901 à Armenia au Salvador et morte à Grasse le 28 mai 1979. Elle fut mariée avec l’écrivain Enrique Gomez Carillo puis Antoine de Saint Exupéry en 1931.


 

Hervé Priëls                 
                                                                              

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