Vous avez dit hygge ? Non, il faut dire heu-gue !

 « L’étude internationale sur le Bonheur mondial » (oui, tout existe !) publiée par le World Happiness Report a rendu son verdict tant attendu, et la France, un petit peu comme à l’Eurovision, arrive en trente-deuxième position, et les pays scandinaves, un petit peu comme à l’Eurovision, arrivent premiers. Il y aurait donc un lien entre le bonheur et le concours de l’Eurovision...

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« L’étude internationale sur le Bonheur mondial » (oui, tout existe !) publiée par le World Happiness Report a rendu son verdict tant attendu, et la France, un petit peu comme à l’Eurovision, arrive en trente-deuxième position, et les pays scandinaves, un petit peu comme à l’Eurovision, arrivent premiers. Il y aurait donc un lien entre le bonheur et le concours de l’Eurovision...

Trente et une positions séparent la France du Danemark, grand gagnant de ce classement sur le bonheur qui, en réalité, est très sérieux et met le doigt sur une différence qui peut être surmontée, à condition, premièrement, d’en prendre conscience, et donc de ne pas systématiquement mépriser ce genre d’études (comme on a coutume de le faire en France), et, deuxièmement, de se donner les moyens d’y remédier.

Mais comment faire, alors ? Nous avons déjà la mer, la montagne, les forêts, la Sécurité sociale, Alain Delon : comment être plus heureux ? Qu’est-ce qui ne va pas chez nous ?

Tout va bien. Mais tout pourrait aller mieux. Et pour ça, regardons du côté de nos vainqueurs, les Danois. Soyons modestes, à l’écoute, et goûtons à leur recette du bonheur. Cette recette, la principale en tout cas, s’appelle le hygge (prononcez « Heu-gue », si vous voulez faire genre, ou « Idge », ou « Aïedje » : en fait on s’en fiche un peu, l’important n’est pas là).

Ce qu’est le hygge ? Ce qu’il recouvre ? Vous voulez dire, par-delà l’inévitable effet de mode dont le moindre mérite ne serait pas, pourtant, de vous avoir amené jusqu’ici ?...
Vous en demandez beaucoup.

Définir le hygge ? Difficile... Mais allez : nous dirons que c’est une manière de concevoir les choses du quotidien, d’y trouver sens et plaisir, qu’on en retrouve la marque dans la décoration, la cuisine, la culture physique, la sexualité, tout un tas de domaines en apparence très différents mais aux nombreux points communs. Le hygge est une sorte de label qu’on réserve à tout ce qui procure ce sentiment bien particulier de bien-être, qu’on pourrait traduire, qui a déjà été traduit, par le mot « cocooning » ; et en même temps, c’est plus que ça. Bien plus.

La sieste, blotti dans un plaid devant un vieux film et une tasse de thé entre les mains ; ou une partie de jeu de société juste devant la cheminée. Sinon une marche en hiver, aux premiers rayons du soleil, ou bien courir sans raison dans une rue, traîner toute la journée en chaussettes, jouer avec son chat en écoutant du Schubert, tous ces moments sont des « moments hygge ». L’apaisement, la bienveillance, une certaine forme de sagesse et d’attention extrême portée aux choses infimes mais potentiellement bouleversantes, la capacité de saisir au vol le bonheur quand il se présente, voilà encore du hygge. Ce hygge-là, tout le monde peut le comprendre, et chacun le connaît.

Quelle différence, alors, avec le bien-être à la française ? La différence, qui existe en effet, réside dans le fait d’avoir conscience de la valeur de ces petits moments précieux et consolateurs. Le bonheur, c’est ce qui ne se remarque pas. Doublement heureux, alors, sont ceux qui le remarquent.
Ce livre, qui n’est ni un guide, ni un bréviaire, ni la bible du bonheur (je suis désolée !), vous propose de vous aider à le remarquer, ce bonheur, car il est là, en germe, partout, en France, au Danemark, mais aussi en Chine ou au Paraguay. Seul ou à plusieurs, le hygge invite à se pencher sur soi, ce qui demande parfois du courage, tant il est plus simple, parfois, de s’oublier ! Extase quotidienne de l’intime, la pratique du hygge ne nécessite pas une grosse fortune, mais une grosse paire de systoles et d’extrasystoles, car le hygge est un sentiment qui privilégie l’être à l’avoir, le cœur à la cervelle, la curiosité à l’érudition.

Autour de ce sentiment une communauté est née au Danemark, et pourra naître ailleurs où l’on voudra bien ; une communauté sans dogmes, ouverte, tolérante et... amusante ! Car être hygge ne veut pas dire être gnan-gnan, p’tit vieux, new-age ; ça ne signifie pas : planer, idéaliser, moraliser. Être hygge, si l’on veut résumer la chose qui, pourtant, se refuse à la catégorisation et échappe à toute expli- cation, être hygge, c’est peut-être se montrer digne du don énorme qui nous est fait à tous : celui d’être heureux simplement. Et plus l’on sera tourmenté, introspectif et même cynique, plus, peut-être, c’est ce que je crois et ce que j’ai expérimenté, plus ce bonheur sera accueilli et chéri. Oscar Wilde a bien écrit que « les petits plaisirs simples étaient le dernier refuge des êtres complexes »...

L’amitié, c’est consentir à partager sa vérité avec quelqu’un. L’amitié, c’est être capable de comprendre ce que l’autre ne peut pas dire. L’amitié occupe une place très importante dans le hygge, animé par le goût et le plaisir de l’échange douillet. En France, on trouve parfois ce genre d’atmosphère dans les cafés (lieux dont il sera question plus avant dans le livre) ; ceux-ci n’existant pas aux États-Unis, l’amitié, selon l’écrivain Saul Bellow, y serait impossible... Au Danemark, la tradition du café est moins forte qu’en France, mais au moins est-elle remplacée par une autre tradition, fondamentalement « hygge » : les moments passés chez soi entre amis, à la lumière des bougies, les reins sertis de coussins, un bon gâteau en train de fondre sous la langue, devant un feu de cheminée, la fenêtre bien fermée, qui toutefois permet de contempler la maîtresse Nature et d’en deviner les odeurs en en voyant la parade.

Vous l’aurez donc compris, le hygge exige d’être modeste dans ses prétentions au bonheur, mais il exige aussi d’avoir la prétention de vouloir être heureux ! Modeste aussi son champ d’action, limité à notre chez-soi et à quelques lieux de pérégrinations, mais prétentieux le but qu’il poursuit : en faire un refuge inaltérable et chaleureux !... Faire du quotidien un enchantement : voilà une belle mission.

En définitive, il ne faut pas, quand on est hygge, vouloir changer la vie, mais apprendre à la regarder. Accepter sa lenteur, transcender sa monotonie apparente, se dégager des ambitions mondaines et des étourdissements du pouvoir, et préférer un bon livre dans un bon lit.

Dans ses choix de consommateurs, le « hyggiste » optera, cela va sans dire, pour des matériaux naturels et à la caresse rustique, comme le bois, la céramique ou la laine, et pour des éléments de décoration tamisants et doux, comme les fleurs ou les bougies.

Finalement, et bien que les Danois n’en parlent qu’à mots très couverts (parce que l’empreinte du protestantisme est encore très forte là-bas et que c’est au rejet de son pessimisme inhérent que peut-être le peuple danois doit cette sagesse hygge, qui serait comme une réponse optimiste, vibrante et ouverte aux systèmes religieux, un grand « oui » à la vie, et un « non » sec à la culpabilité et à la peur), le hygge est une forme de retour à la vie primitive et sacrale. Entendons-nous : rien de religieux là-dedans (surtout pas !), mais un rejet, ou tout au moins une méfiance des propositions profanes et matérialistes du monde moderne. Être hygge, c’est être dans ce que les gens un peu axés mystique appellent « la Présence », c’est-à-dire une expérience personnelle de la relation avec quelque chose de pur, de transcendant (qu’on appelle Dieu, Bozo le clown ou le Matcha, mais qui en tout cas n’a rien à voir avec le téléphone portable...). Rien d’hédoniste là-dedans, ou d’illuminé, mais un réinvestissement du spirituel, du lumineux, dans des activités en apparence dérisoires, ou en tout cas des plus quotidiennes : le repas, le coucher, le goûter, la marche, etc. Tenez, par exemple : faire de sa chambre une sorte de « temple », coupé du temps et des mauvaises influences. Ou alors, autre exemple : chercher dans la nature, en s’y baladant avec des amis, non seulement un sentier agréable et joli pour les yeux, mais, plus encore, un lieu parfait et originel. Et savoir, et ressentir, avec tout son corps, qu’en marchant face au soleil, on absorbe l’univers.
Tout simplement.


Anne-Sophie Monod

 

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